Nous avons rendez-vous à l'entrée du camping des Laumes. J'ignorais complètement que ce camping a trois étoiles et propose de véritables petits chalets, qui seraient parfaits pour un hébergement d'appoint d'amis ou de membres de la famille. Les autres randonneurs arrivent peu à peu. Une dame est entièrement recouverte de vêtements blancs, et seuls son visage et ses mains sont visibles. Certes il fait chaud, mais on est loin de la supposée canicule de ces derniers jours. Un monsieur nous accompagne en poussant son vélo. Et un autre a les lèvres recouvertes d'un produit de protection blanc, comme les alpinistes de l'extrême. A l'opposé Christine et moi sommes en T-shirt, short et sandales, ce qui suffira bien car c'est plus une balade qu'une randonnée. Et bien sûr Solène est recouverte des pieds à la tête de noir, comme a son habitude.
Yann, le guide que nous connaissons bien maintenant, nous propose quatre itinéraires plus ou moins longs. Devant notre inertie il choisit le plus long, qui nous emmènera à Mussy-la-Fosse en passant par les hauteurs, jusqu'au lieu-dit « Le purgatoire ». Une fois la trousse de secours vérifiée, nous nous mettons en chemin sous le soleil. J'installe rapidement un podomètre sur mon smartphone. Nous passons des Laumes à Venarey en évitant la grande route, nous traversons le canal et faisons halte à une fontaine pour nous rafraîchir. Tout en marchant, Yann nous parle de l'histoire du village et nous montre des maisons, des monuments, des calvaires, et même la tombe d'un soldat anonyme sénégalais tué par les Allemands en 1940. Puis nous attaquons la montée vers « Le purgatoire », d'abord sur une route goudronnée puis très vite sur un chemin peu carrossable, envahi par les herbes et creusé d'ornières. La pente est plus que raide et la montée par cette chaleur étire rapidement le petit groupe. Solène caracole en tête et je la suis, beaucoup plus lentement mais en profitant de mes longues enjambées. Déjà la vue sur la plaine des Laumes est magnifique, malgré une légère brume de chaleur qui nuit aux photos. D'après mon podomètre (qui indique des distances et des vitesses suspectes) nous serions montés de presque 300 mètres en quelques kilomètres ! Je veux bien le croire. Au bout de ce chemin facilement identifiable, mais non répertorié comme chemin de randonnée, en commence un autre beaucoup plus sauvage et quasiment invisible. Pourtant, lui est répertorié et même balisé. Mais selon Yann, aucune structure de randonnée organisée (club ou association), ni la municipalité, ne prennent soin de ces sentiers. Par contre les chemins empruntés par les agriculteurs sont larges et mieux entretenus. Ce nouveau sentier serpente dans la forêt, monte et descend sans cesse, est envahi de plantes et de ronces et plusieurs arbres morts obstruent le passage. Enfin nous débouchons dans une large sente recouverte d'herbe, où la marche est plus agréable, avec une pente plus faible. Après quelques centaines de mètres une petite route goudronnée fait suite au sentier, qui nous emmène vers le sommet de la colline, nommé « Le purgatoire ». Selon un mélange de réalité historique et de légende c'est sur cette colline que les 250000 hommes de l'armée gauloise venue au secours de Vercingétorix, auraient établi leur campement. Du coup toute la zone est protégée, dans l'espoir de la fouiller peut-être un jour. Un relais de télévision et de téléphone est placé au point le plus haut, ainsi qu'un abri en bois avec tables et bancs. Ceux-ci sont les bienvenus après cette montée plutôt éprouvante. Avant d'entamer la descente, Yann nous conduit à travers la frange d'arbres vers la lisière d'où nous avons une vue extraordinaire, à plus de 180°, sur toute la plaine des Laumes. Malheureusement la brume de chaleur est toujours là et brouille un peu la vue. Je prends des photos rapprochées afin de construire une photo panoramique.
Nous continuons la route goudronnée vers Mussy-la-Fosse, où nous attendent les visites prévues dans la randonnée. Nous passons devant un calvaire en métal au pied duquel attend un vieux banc. Je m'écarte du chemin pour prendre une photo et quand je reviens sur la route, c'est le drame : mon genou gauche, fragilisé depuis ma chute en vélo il y a deux ans, cède brutalement et ma cheville se tord simultanément. Du coup je tombe lourdement sur la gauche de tout mon poids, en protégeant mon sac photo. La douleur est intense et je reste quelques instants à terre, sans pouvoir me relever. Comme j'étais le dernier, un seul randonneur s'aperçoit de ma chute. Je me relève quand même et je continue à marcher, en traînant la jambe gauche et en allongeant mes enjambées pour rattraper le groupe. Ma cheville a doublé de volume et la malléole a atteint la taille d'une petite orange. Yann propose de me faire ramener mais je suis venu surtout pour les visites et il n'est pas question que j'y renonce, si près du but. Heureusement nous sommes tous près de Mussy-la-Fosse. Nous faisons un premier arrêt à la petite église, que nous ouvre le propriétaire de la maison forte, que nous visiterons ensuite. Il nous éclaire le chœur, nous montre l'étonnant poêle à bois à douze évents, une statue peinte du XVIe siècle et un joli confessionnal amovible. Sur le mur du cimetière attenant se trouve un robinet d'eau potable, très bienvenu à ce moment. Le propriétaire de la maison forte nous emmène chez lui, en haut du village. J'y vais clopin-clopant, de plus en plus lentement. A l'extérieur de l'enceinte de la maison forte (pour fortifiée) nous découvrons un grand pigeonnier. Comme tous ceux de cette époque c'est une simple tour ronde en pierre surmontée d'une belle charpente en bois, avec une porte pour les humains et deux trous en haut pour les pigeons. L'intérieur est tapissé du haut en bas par des trous de boulin, c'est à dire des cases pour les pigeons, faites de briques carrées posées de façon orthogonale. Le monsieur nous explique que le nombre de cases était un signe de richesse et de puissance, fonction de la surface des terres. Ce pigeonnier comporte plus de 1800 cases, ce qui en faisait l'un des plus importants de la région. Le propriétaire nous fait faire le tour du mur d'enceinte, encore protégé par une échauguette intacte. Puis il nous conduit dans la cour intérieure et nous raconte l'histoire de sa demeure. Un seul bâtiment du XIIIe subsiste, les autres ayant été démantelés pour utiliser les pierres, au fil des siècles et des changements de propriétaires. Le corps principal, une belle maison du XVIe avec double escalier en pierre, est plus récent. Il sert actuellement de gîte haut de gamme. Quand le propriétaire emmène le groupe sur le rempart et dans le vieux bâtiment, je reste dans la cour car je suis incapable de monter un escalier.
Après avoir pris congé, nous descendons vers le jardin japonais privé d'André Mugneret, ultime but de notre randonnée. Nous sommes accueillis avec un grand sourire par le couple de propriétaires. Lui est un artiste peintre, poète à ses heures, qui concevait des décors en trompe l’œil, pour des restaurants notamment. Il nous reçoit dans son atelier, énorme bric-à-brac de dessins, peintures, sculptures, affiches, ustensiles de dessin, etc. Puis il nous fait faire le tour de son jardin japonais, qu'il a imaginé et construit lui-même avec des pierres et des objets de récupération, dans le respect des règles zen qui régissent ce type de jardin. L'entrée est gardée par un couple de lions en pierre, tout à coté d'une fontaine traditionnelle, qui se remplit puis se vide en faisant un bruit caractéristique, inlassablement. J'apprends que ce dispositif était fait pour effrayer les animaux sauvages, comme les cerfs, par le bruit. Pendant un bon moment nous déambulons dans le jardin, guidés par le propriétaire volubile qui nous explique et nous commente le moindre arbre et la moindre construction en pierres. Il a dédié son jardin aux esprits de ses ancêtres, comme souvent dans la tradition nippone. J'aime beaucoup ce genre de jardin, favorisant le silence et la méditation. La visite se termine par un parc regroupant de très nombreux bonsaïs, de tous âges et de toutes tailles. Le plus ancien serait âgé de plus de 200 ans. Au moment de partir le ciel s'assombrit et le tonnerre commence à gronder. Yann, notre guide, paraît soudain inquiet et nous enjoint de partir le plus vite possible pour retourner aux voitures, au camping des Laumes.
Je reste dans le village et vais m'asseoir clopin-clopant sur le banc devant l'église. J'ai à peine commencé à me balader sur Facebook que j'entends un choc violent sur un toit, sans comprendre ce que c'est. Quelques secondes plus tard un autre choc a lieu, puis d'autres de plus en plus rapprochés. Et je vois arriver par terre des grêlons énormes, certains de la taille d'une balle de golf. Je me lève, avec de plus en plus de difficultés, et vais me mettre à l'abri d'un petit auvent juste en face de moi, alors que l'orage gronde et que la grêle s'intensifie. Je protège mon sac photo en le plaçant au-dessus de ma tête, alors que la grêle crépite avec violence, mélangée à de la pluie. Je reçois plusieurs forts impacts sur le bras gauche et les jambes, qui me marquent, et rapidement je suis trempé jusqu'aux os, comme si je m'étais plongé dans l'eau. J'aperçois une cabine téléphonique située de l'autre côté de la place, qui me protégerait bien plus efficacement, mais ça serait de la folie de la rejoindre. Je reçois même un gros grêlon juste sur l’entre jambes, ce qui me fait grimacer de douleur. Du coup je me tourne pour présenter mes fesses à l'averse de grêle qui s'intensifie encore. Le sol est couvert de glace, certains grêlons sont hérissés de piques, c'est étonnant. De ma vie je n'ai vu un orage de grêle aussi important. Quand la grêle s'arrête et qu'il ne tombe plus que de la pluie je vais à cloche-pied me réfugier dans la cabine téléphonique, puis dans un abri de cantonnier juste à côté, où se trouve un banc. Rapidement l'orage passe, la pluie s'arrête et le ciel bleu réapparaît derrière la colline. Je quitte mon short et mon T-shirt que j'essore, et je prends mon mal en patience. J'espère seulement que Christine et Solène n'ont pas été piégées par la grêle. Au loin je vois les nuages couleur d'encre et le rideau de grêle se diriger droit vers Ménétreux.
Après encore quinze minutes d'attente, qui me paraissent très longues, Christine arrive enfin. Je constate avec soulagement que la voiture n'a pas souffert. Christine me raconte ce qui s'est passé de son côté. Yann étant de plus en plus inquiet, il a fait presser le pas au groupe. La grêle s'est abattue sur eux peu après qu'il aient passé le pont du canal. Heureusement ils ont trouvé un jeune homme compatissant qui leur a ouvert un local pour qu'ils s'abritent. La route du retour est jonchée de feuilles hachées et de branches cassées, et beaucoup de personnes sont sorties pour évaluer les dégâts faits à leur maison ou à leur jardin. Heureusement notre maison n'a pas souffert.
Le surlendemain, ayant toujours très mal à la malléole externe gauche, je me décide à aller voir un médecin, qui m’envoie aux urgences de l'hôpital de Semur-en-Auxois. J'en ressors (assez vite) avec une belle gouttière en plâtre immobilisant ma cheville ainsi qu'un arrêt de travail de sept jours, renouvelable si besoin est. Mais je ne regrette pas un instant la balade, instructive et conviviale comme toujours.